Ce putain de téléviseur

J’étais assis devant ce téléviseur ouvert, avec de la neige dans l’écran, image qui aurait été banale si ce n’était de ces chaînes que j’avais enserrées autour des poignets et des chevilles. J’étais ligoté à mon fauteuil dans mon propre salon. Je ne me souvenais pas même de comment c’était arrivé. Une personne était assise à mes côtés.

Puis la neige et le son de fond sont disparus de l’écran. Un titre est apparut en encre noire sur un fond blanc. Étrangement, ce titre semblait avoir été écrit de ma main, mais je ne me souvenais pas l’avoir écrit; « ma vie ». Par la suite, une image est apparue avec une date en dessous. Je n’ai pas trop réalisé ce qu’était cet événement au premier regard. J’étais trop étonné par le visage de ma mère, si jeune, dans un lit d’hôpital, épuisée, qui souriait, en entendant les cris d’un enfant qu’elle semblait tenir dans ses bras (je la voyais du point de vue de l’enfant). C’est en examinant à nouveau la date au bas de l’écran que j’ai réalisé que c’était le premier jour de mon existence. Comment cela se pouvait-il??

Puis, les images se sont mises à défiler très vite, mais je me souvenais des événements vécus. Parfois ils passaient rapidement et à d’autres moments, les évènements plus importants défilaient à une vitesse terrestre. J’ai vu la première fois où j’ai marché, puis la première fois où mon père m’a frappé. J’ai revu mon premier jour à la maternelle suivit de ma première journée en première année. Je voyais les journées passer à une vitesse phénoménale. Le jour se leva. Le jour se coucha. Et j’ai revu des images de ma première flamme en 4^e année; Kim. En même temps que je voyais ses images, j’avais l’impression de revivre les émotions de l’époque. La sensation d’avoir un nœud dans l’estomac, que mon cœur voulait sortir de ma poitrine.

À l’époque, j’ai revécu ces moments où je regardais toujours dans une vieille boîte de pastilles de verre parce que celle-ci me revoyait le reflet de Kim assise derrière moi.

Puis j’ai déménagé dans une autre ville. Ma première perte amoureuse. J’ai revu mes parents divorcer. J’ai revu mon adolescence troublante et tourmentée de déceptions amoureuses, la drogue, ma dépression. À l’époque, je me croyais atteint du mal de vivre.

Finalement, un matin, je me suis repris en main. J’avais décidé de m’inscrire au Cégep. Ont encore défilé quelques relations amoureuses. Puis mon départ pour l’université. J’ai revécu des heures de solitudes parce que je m’étais exilé. Trop déçu des gens qui m’entouraient, j’avais démissionné, je m’étais replié sur ma personne.

Pourtant, après une longue tempête, le printemps est apparu dans ma vie. Sous la forme d’une personne plus qu’exceptionnelle; Lorie. Les images ont ralenti. J’étais assis seul, dans un pub, je dessinais une nature morte (qui était en fait le pichet de bière que l’on m’avait servi) lorsqu’elle s’est installée à ma table, elle aussi, pour dessiner ce même pichet, puis mon portrait. Je ne l’ai plus jamais quittée. Elle était l’une des meilleures parties de ce que j’attendais de la vie. Une personne qui me permettait de m’oublier, mon sédatif à ma douleur.

Les journées ont défilé. Mon frère est mort, puis mon meilleur ami. J’ai eu beaucoup de peine, mais j’étais bien supporté par Lorie. Parfois il m’est venu à l’esprit qu’elle était capable de porter mon monde et bien plus. On passait les épreuves de la vie ensemble.

Et un jour, sans prévenir, l’autre meilleure partie de ma vie est arrivée; Cendrine. J’ai revu la première fois où je la prenais dans mes bras, ses premiers pas. Des journées de travail, des journées de bonheur et des vacances d’été. Cendrine qui a grandit. Mon mariage avec Lorie. Une nouvelle maison. Les journées qui passent. Les premiers amours de Cendrine. Et les journées qui ralentissent, en même temps que mon cœur, parce que je sais que je vais revoir le moment le plus pénible de mon existence.

Un soir, en revenant du travail, je découvre Cendrine, les veines ouvertes, couchée dans le bain qui déborde. Je me revois lui prendre rapidement son pouls, puis la transporter à l’hôpital. Je revois ma chemise blanche maculée de sang. Me revient cette impression que mon cœur va éclater lorsque l’on l’emmène sur une civière. J’entends Lorie pleurer au téléphone à l’annonce de la nouvelle. Je me souviens dû moment où j’ai pensé que mon mal de vivre était peut-être héréditaire. Des heures d’inquiétudes, d’incertitudes. Puis le médecin qui nous annonce que Cendrine est hors de danger. Lorie arrive, je lui annonce la nouvelle. La tempête passe. Nous faisons de notre mieux pour aider Cendrine qui finit par se prendre en main.

Les jours passent. Je vieillis. Tout le monde vieillit. On déménage encore. Je deviens grand-père. Ma mère meurt, puis mon père. Je vieillis encore. Je voyage beaucoup. Lorie m’aime toujours autant et moi aussi. Puis je finis par prendre ma retraite. J’étudie pour passer le temps. À un moment, je tombe malade. Cancer généralisé. Je sais que je n’en ai plus pour longtemps. Lorie et Cendrine viennent me voir à l’hôpital. L’épreuve est dure pour tous, mais je suis bien entouré et l’on me donne tout l’amour dont j’ai besoin.

Le film s’arrêta. Le personnage assis à mes côtés se lèva. Par ses vêtements noirs et sa fau, je sais très bien qui il est. Pourtant il a un visage si calme et paisible.

- Et maintenant?

Il me tendit une télécommande puis me dit quelque chose qui semblait parvenir en échos dans la pièce.

-Appuie sur «record» pour voir la suite..

Notes de l'auteur:

Cette nouvelle est teinté de quelques événements véridiques de ma propre vie. Je regardais souvent mon premier amour (Kim est son vrai nom)avec une boîte de pastilles qui me permettait de voir son reflet, puisqu'elle était assise derrière moi. À l'époque, j'avais peur d'oublier son visage et ses traits (mon enseignant elle, croyait que j'avais une fabulation pour les pastilles :) ) Les gens qui me connaissent peuvent aussi reconnaître certaines parties de ma vie. D'autres, comme la rencontre de Lorie, font plus partie de souhaits personnels. Enfin, certains événements sont justes propres à cette histoire. N'en tient qu'à vous d'en trier les événements...