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Moi à côté de moi
14 septembre 2013

Mort en sursis

Lorsqu'il s'est présenté à moi, j'ai tout de suite su que c'était le bon profil pour faire l'opération. D'après les cernes sous les yeux je pouvais déjà dire que cet homme avait certains symptômes de cette affection que je cherchais à enrayer depuis quelques décennies. En l'observant plus attentivement, l'on avait l'impression que l'homme traînait avec lui une aura de tristesse. C'était comme si toute les peines du monde s'étaient réunies pour échouer dans ce corps qui semblait sous le point de s'écrouler, non, plutôt d'être réduit en bouillie sous des tonnes de larmes.

 

L'homme entra dans mon bureau et se présenta sous le nom de Karl Perrier. Il m'expliqua qu'il avait vu l'annonce que j'avais mis dans le journal en me disant qu'il croyait être un bon candidat pour le genre d'opération que je voulais faire ici. Comme je voulais vérifier ses propos, je lui fis un questionnaire en règle pour m'assurer que c'était bien un bon cobaye.

 

- Monsieur Perrier, depuis combien de temps l'événement est-il arrivé maintenant?

 

- Environ deux mois. Depuis, je suis incapable de dormir une bonne nuit et je me réveille constamment angoissé et hanté par des souvenirs et des cauchemars. J'ai perdu l'appétit.

 

- Comment vous sentez-vous en ce moment?

 

- Écoutez, croyez ce que vous voulez mais je ne suis pas suicidaire. Pourtant je souhaite juste qu'un piano à queue me tombe sur la tête. J'ai bien pleuré mais en ce moment , les larmes restent prisonnières de mon corps, elle ne veulent plus sortir.

 

«  Vous avez essayé les services d'un psychologue? » lui aie-je demandé afin de savoir s'il avait eu plusieurs recours avant de venir ici.

 

-J'ai eu quelques séances mais j'ai toujours eu l'impression qu'il essayait de me faire avoir une discussion avec moi même au lieu de vraiment écouter ce que j'avais à dire. Il semblait blasé de mes propos.

 

- Y a-t-il autre chose que nous devrions savoir à propose de vous, Monsieur Perrier?

 

- Dernièrement, le médecin m'a informé que j'avais un cancer des os. Il aimerait que je songe à l'amputation de mes deux jambes. Je n'ai pas l'intention de me faire soigner.

 

À cette déclaration, je me réjouis intérieurement. Ce type était le cobaye idéal, cela ne faisait aucun doute. Il n'avait plus rien à perdre.

 

- Très bien! Revenez me voir jeudi à 1 heure précise dans ce cas, lui dis-je. Cependant je tiens à vous informer que les chances de survie à l'opération sont très minces. Vous devrez signer des documents qui nous déchargent de toutes responsabilités. Dans le cas contraire vous deviendrez un homme célèbre, peut-être même un modèle pour tout les gens affligés du même sort. Allez mon vieux, faites vos adieux aux gens que vous aimez et prenez une cuite.

 

…..

 

Comme prévu Karl est revenu à l'avance. Mon assistant, Kamil lui a fait remplir les documents et il l'a installé dans le bloc opératoire.

 

 

- Nous allons faire une incision à la hauteur du cœur et y injecter une forte dose d’adrénaline afin de faire ressortir la fibre que nous voulons retirer. Malheureusement, nous ne pourront pas vous endormir, puis qu'il nous faut faire une vérification immédiate..il faut que l'on soit capable de vous parler afin de valider l'opération. Cependant nous nous assurerons de vous faire une anesthésie locale.

 

- Faites ce que vous avez à faire, je veux simplement que la douleur disparaisse.

 

 

 

Je me mis au travail, plein d'espoir de réussir cette opération. Je commença donc avec l'injection d'anesthésiant puis, une entaille au scalpel à la hauteur du cœur. Après des années à travailler sur ce projet, j'espérais pouvoir mettre un terme aux souffrances d'une majorité de l'humanité en commençant par cet homme et peut-être même finir par retirer le propre poids de mes douleurs qui me terrassaient depuis des années dans le désert de mes songes.

 

Après de dures années de labeur j'avais découvert que la source des symptômes n'était aucunement psychologique comme plusieurs de mes anciens collègues de travail le soutenaient, ni même issue de la raison. Donc, d'après mes recherches, je réussis à infirmer l'hypothèse de la source du malaise, le cerveau, qui n'avait absolument rien à voir avec la maladie. En fait, sa naissance provenait du cœur lui-même. Étrangement, cela me semblait tellement évident après réflexion. J'avais même réussi à isoler la fibre porteuse de cette pathologie.

 

Cette même fibre que je retirais non sans peine d'un cœur battant la chamade, imprégné de l’adrénaline que j'y avais injecté quelques secondes plus tôt. En fait, l’adrénaline était le seul moyen que je connaissais pour faire paraître la fibre minuscule sur ce cœur. Je l'enleva non sans difficulté et j'eus même fait quelques dommages sur la paroi du cœur. Cela me parut sans conséquences graves malgré le fait que je n'avais aucune idée des dommages liés au retrait du tissu.

 

- C'est fait, dis-je, comment vous sentez-vous?

 

- C'est fantastique, j'ai l'impression que plus rien ne m'atteint, je n'ai plus mal, me dit Karl, un sourire euphorique gravé sur le visage. Je ne ressens plus la tristesse, ni l'immense vide qui avait pris toute la place.

 

Soudainement, le moniteur cardiaque s'emballa dans un bruit infernal. Je vis les yeux du patient se retourner dans leur orbites. « Kamil, vite, une injection! Tenez-le! Bon sang! Nous allons le perdre! »

En un clin d’œil, la salle fut un bain de sang. Le retrait de la fibre avait fait des dommages irréversibles. Le cœur du patient avait explosé.

 

- Merde! Et dire que l'on y était presque, m'écriai-je. Kamil, nettoyez tous cela. Il va falloir trouver un autre patient. Il faut croire que ce n'est pas aujourd'hui que la science va guérir la maladie de la peine d'amour et du rejet! Bordel!

 

Le corps de Karl affichait encore un sourire étrange sous un masque de sang.

 

 

Quelque minutes plus tard, Kamil allait conduire la dépouille dans le bac à incinération. Il le balança au dessus d'une dizaine de corps qui attendaient d'être conduits aux fours à la fin du mois. Kamil regarda la dépouille une dernière fois. « Ce qu'il est facile de jeter les gens de nos jours ».

 

 

 

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